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Edito


Entrer dans la librairie, c’est  tourner comme une mappemonde : on virevolte dans les rayons, on cherche quel sera le prochain parcours, l’Invitation au voyage : « Mon enfant, ma sœur, songe à la douceur d’aller là-bas vivre ensemble ».
Les yeux curieux se portent sur les jaquettes, comment choisir ? dans quel pays se rendre ? Là les montagnes de l’Oural, ici la chaîne de l’Himalaya, c’est Alexandra David-Neel, c’est l’usage du monde…On caresse la couverture ainsi qu’on tourne les pages d’un atlas de géographie comme si la main qui, l’index tendu, indique le chemin au voyageur, pouvait par une subtile alchimie nous confier ce qui se cache encore au fil des pages.  Secrets de la Vie, clefs pour démêler notre existence, justifications de nos faiblesses, de nos désirs vacillants aussi.
On prend un billet d’avion, Valparaiso, Zanzibar. On paie le livre, déjà certain qu’il nous ouvrira à des continents lointains, c’est « de Marquette à Veracruz » et voilà le Montana déroulant ses lacs et ses forêts. Bien sûr, quelquefois on est convaincu  qu’on va embarquer dans le Transsibérien et tel Blaise Cendrars traverser de lointaines provinces, visiter d’autres destins, pourtant on se retrouve à quelques pâtés de maisons, comme les touristes frileux dans les hôtels de chaînes internationales.
L’écriture quelquefois déconcerte, on perd la trame,  et l’on souhaiterait alors  que quelqu’un nous guide comme dans un pays lointain dont la langue nous est étrangère, on se repose au coin d’une page, puis on reprend la route de la lecture, installé au coin de la lampe, dans le soir qui tremble.
Dans ses bagages on emmène LE livre, celui qui raconte là où on est, au –dessus du Bosphore, dans la maison de Pierre Loti, on lit ses mots de 1878, « Les minarets, les hautes coupoles des mosquées se découpent sur un ciel très étoilé où un mince croissant de lune est suspendu… ». On lève la tête, c’est là, on est dans le livre, le temps s’est arrêté.
Entrer dans la librairie, c’est tourner comme une mappemonde, tous les livres qu’on ne lira pas, tous les pays qu’on ne connaîtra pas, quelquefois cela me donne envie de pleurer.

Dominique Bellanger


À demi-mots

Plus loin que la nuit
Cécile Oumhani, éd. de L'Aube
14.90€
D'une écriture sans détour, vive et claire, Cécile Oumhani nous fait partager la vie de deux jeunes femmes que tout sépare. Elles vont à peine s'entrevoir avant un événement dramatique. L'une, Ahlam (rêve), vient du Maghreb. Elle a choisi l'exil vers le grand Nord pour oublier son mari Habib qui l'a rejetée parce qu'elle ne pouvait avoir d'enfant, pour oublier aussi la mort de son père, le seul à lui montrer un peu de tendresse et fuir sa mère qui ne l'a jamais aimée. L'autre c'est May, qui vit prés d'Helsinki. Selon son mari Michael, elle a tout pour être heureuse, elle est là pour élever ses enfants et aura bien le temps de peindre plus tard. Toutes les deux, dans des régions et des cultures différentes vivent l'enfermement, l'incompréhension, le manque cruel de communication au sein de leur couple, triste condition féminine. La fuite est leur seule issue pour exister, tenter de se reconstruire. Leur histoire est rythmée par leur passion commune pour la peinture, évoquée en filigrane tout au long du livre, à commencer par "Le cri" d'Edvard Munch, qui exprime si bien leur désespoir face à leur solitude intérieure.
Ch. G.

Terres noires, Terres Blanches   
Andrew McGahan, éd. Actes Sud 
23 €
A la mort de son père, petit fermier du Queensland (Australie), dans un horrible accident, William, 10 ans, et sa mère, sont « accueillis » par un oncle inconnu dans un manoir délabré. William est un petit garçon solitaire. Sa mère dépressive et dépendante, cherche à le convaincre de plaire à cet oncle bizarre dans l’espoir de bénéficier de l’héritage. William est un petit garçon influençable : il va tenter de maîtriser ses peurs pour donner satisfaction à cet oncle âgé qui vit dans l’obsession : obsessionnelle est sa conviction que ce morceau de terre lui appartient de droit quasi divin, obsessionnelles sont son attitude et son rapport à son histoire familiale et personnelle. Dans un va et vient entre le passé –celui du vieil homme- et le présent –celui de William- nous sommes emportés, enveloppés, comme William lui-même par cette obsession, jusqu’au paroxysme final, attisé par la présence et les révélations de la fille ignorée. William apprendra dans la souffrance. C’est une fraction de l’histoire de l’Australie qui nous est contée à travers des trajectoires individuelles dans une écriture magnifiquement sensuelle : la terre, le vent, l’eau, les sentiments en sont les protagonistes.
B. A.

                           
Adieu Shanghaï   
Angel Wagenstein, éd. L’Esprit des Péninsules
24 €
Page méconnue sinon inconnue de l’histoire des juifs pendant la seconde guerre mondiale, ce roman-récit retrace l’histoire de Shanghaï de 1937 à 1945 : ville internationale, occupée par les Japonais, elle reste jusqu’en 1937, ouverte à l’exil des juifs d’Allemagne. L’auteur retrace la vie –la survie plutôt- de cette colonie juive qui se greffe sur une population ultra cosmopolite, nid d’espionnage et de corruption.
La misère y est grande pour les exilés, malgré la présence d’une population juive de riches marchands anciennement installée qui ne manifeste guère de solidarité avec les exilés. Peu d’écoute également des puissances occidentales présentes à Shanghaï. Le ghetto créé par les Japonais à la demande expresse des nazis va accentuer encore cette misère. Il y a des scènes hallucinantes du chassé croisé entre les Chinois chassés du quartier destiné au ghetto et les juifs qui y entrent. Les Chinois sont d’ailleurs assez peu présents de ce récit à peine romancé. Le style, assez sec sert parfaitement une histoire croisée de destins individuels, personnes réelles ou personnages recomposés à partir de figures historiques.
B. A.


Vaincue par la brousse
Doris Lessing, éd. Flammarion   
20 €
A la fin des années 40 en Rhodésie, Mary, jeune femme indépendante, cède à la pression sociale qui veut qu’une femme ne se réalise que dans le mariage. Elle épouse un fermier pauvre, le suit dans le veld et s’enferme petit à petit dans une solitude douloureuse, une torpeur qui la conduira à la dépression et au drame. Mais la Rhodésie, c’est aussi les ouvriers-esclaves noirs maltraités par les blancs et lorsque Moïse le serviteur noir a un geste de soutien envers Mary, celle-ci, obligée de le considérer comme un «  humain », voit son univers basculer dans le violent mélange fascination-répulsion qu’elle éprouve pour cet homme. Lui-même oscille entre mépris condescendant envers la « femme blanche » et sensualité.
C’est un roman terrifiant par l’implacable analyse que fait l’auteur du décalage entre les aspirations au bonheur d’un être et la réalité de sa vie.
C’est un roman éprouvant par  son écriture lente et précise qui dépeint la vie des fermiers et leurs rapports avec  leurs ouvriers noirs, rapports ambigus ou maîtres et serviteurs sont liés par le besoin qu’ils ont l’un de l’autre.    
C’est un roman magnifique ou la chaleur rythme les saisons, dénude les corps et exacerbe la sensualité.
Et c’est le premier roman de Doris Lessing : elle avait trente ans…
D. B.

La donation
Florence Noiville, éd. Stock
13 €
Héritage, partage, transmission : que reçoit-on des siens, que donne-t-on à ses proches ? Première scène en famille, inaugurale, chez un notaire lors d’une « donation-partage entre vifs ». La narratrice, future héritière, s’évade à travers les résonances subtiles des termes juridiques – l’usufruit et la nue-propriété – et va dès lors décliner son histoire sous l’angle du don, de l’abandon, du pardon.
Elle a de nouveau dix ans, et le sol s’effondre. Car si la donation et la partage des biens matériels ne fait pas ici question, qu’en est-il de l’héritage profond des émotions qui submergent et des peurs enfouies ? Elle est une enfant à part et la maladie de sa mère, terrifiante car sans nom et sans explication, vient anéantir l’équilibre familial. Que recueille-t-on, à dix ans et pour tout le restant de sa vie, des tourments alternatifs de l’âme maternelle ? Par quels séismes se propagent les troubles et les douleurs de nos ancêtres ? Quel passage, quel partage pour tous ces biens et tous ces maux acquis par voie de succession ?...
E. P.

Le boulevard périphérique
Henry Bauchau, éd. Actes  sud
19,50 €
Un livre éblouissant. Henri Bauchau est un auteur talentueux (95ans), il nous livre un roman puissant, chaque mot est à sa place chaque phrase est juste chaque page vibre.
La vie la mort l’espoir la foi, les souvenirs tout au long de ses trajets en bus en RER ou sur le périphérique les heures de pointes les bouchons…. autant  d’obstacles  à franchir ou de fluidité à vivre : la Vie  en un mot !
Le narrateur est au chevet de sa belle-fille, Paule, qui va mourir d’un cancer. Il vient presque chaque jour et traverse Paris et ses banlieues. Il y a la mère de Paule qui tient le gouvernail de l’espoir et Mykha  le mari de Paule. Les personnages sont forts et d’une grande sobriété.
Pendant ses allers retours deux autres personnages réapparaissent, Stéphane et son bourreau Shadow. Stéphane était un ami qui l’avait initié à l’escalade (un très beau passage). Pendant la guerre il passe du côté des résistants et se fait capturer et tuer par Shadow officier nazi. Le narrateur tente de comprendre et revit avec acuité toute cette période à travers le récit que lui en fera Shadow ! L’ange et le démon l’ascension du bien et du mal.
M.-N. C.

Piazza Bucarest
Jens Christian Grondahl, éd. Gallimard
17, 50 €
Au moment de la Roumanie de Ceaucescu, Elena choisit la liberté.  Elle rencontre  Scott, photographe danois d’origine américaine, en reportage en Roumanie, qu’elle accompagne comme interprète. En acceptant de l’épouser, elle tourne le dos à son passé emportant avec elle un terrible secret, et ne choisit pas l’amour mais la liberté. Incapable d’aimer, d’entrer en relation avec le monde depuis ce qu’elle a vécu, d’abandon en abandon, elle s’inscrit dans la fuite, laissant derrière elle ceux qui l’aiment. Une lettre de Roumanie à son attention renverra Scott, longtemps après sa fuite, vers la vérité. Un livre très fort, où à travers le personnage d’Elena, puis de Scott on touche du doigt la difficulté à être sans racine, et l’illusion de la liberté à l’état pur. Comme dans « Bruits de cœur », pas de vraies familles,  de la dépendance à l’amour impossible, et une difficulté à s’ancrer quelque part. Pour Elena, tout lien avec le monde se dénoue, comme s'il lui était impossible d’être quelqu’un pour de vrai.
J. B.


Les belles choses que portent le ciel
Dinaw Mengestu, éd. Albin Michel
21, 50 €
Stephanos, d’origine éthiopienne, a pour seuls amis Kenneth et Joseph, d’origine africaine, rencontrés au Capitol Hotel où ils exerçaient le métier de bagagistes. Ils ont des histoires proches, et savent qu’ils ne reverront plus ni  leurs pays ni leurs familles.
Stephanos, le personnage central tient une épicerie qui vivote dans un quartier pauvre de Washington. L’arrivée de Judith, une femme blanche, et de sa fille métisse Noami sera l’occasion d’un retour vers l’humanité. Celui qui fut témoin de la mise à mort de son père, puis chassé par sa mère, rencontre cette petite-fille en mal de père et  sa mère en mal d’affection. Son épicerie devient le lieu quotidien de refuge de Naomi, qui s’évade avec lui dans de longues lectures. Cette rencontre restera à l’état de rêve car « un homme coincé entre deux mondes vite et meurt seul ». On se laisse entraîner par cette belle écriture et cette sorte de chanson triste. Quelques longueurs mais beaucoup de finesse dans la référence nostalgique au passé par touches subtiles jusqu’à la fin quand ce quartier s’enflamme comme au temps de la révolution en Ethiopie.
J.B.


Les Draps du peintre
Maryline Desbiolles, éd. Seuil
15 €
Après Primo, où elle reconstituait un drame intime, puis C'est pourtant pas la guerre, texte polyphonique inscrit dans un quartier pauvre de Nice, Maryline Desbiolles renoue avec l'enquête. Cette fois, c'est à la figure complexe d'un peintre contemporain – jamais nommé – qu'elle s'attache. Par bribes, hypothèses et explorations, le texte avance. Il absorbe une rêverie à partir de l'oeuvre elle-même, et surtout les fameux « carrés collés » de l'artiste. Il ne retient de la biographie que des éclairs illuminant le processus de création, isole des gestes fondateurs, une blessure révélatrice. « Peindre à corps perdu ». Le livre est ardent, audacieux, nourri d'une méditation aiguë à partir des formes, de quelques souvenirs personnels, l'auteur ayant croisé le peintre et gardé de lui quelques traces. C'est une biographie oblique, une sorte de fiction plausible cousue de quelques scènes  incandescentes. L'auteur y glisse aussi des traces d'elle-même, ses petites touches ajoutant à la mélancolie légère de l'entreprise. On est pris dedans, on avance au coeur d'une énigme lumineuse.
D.M.

Les Petites terres
Michèle Desbordes, éd. Verdier
11,50 €
Les petites terres est un peu un livre testament puisqu'en effet, l'auteur sait au moment où elle l'écrit  qu'elle est atteinte d'une maladie incurable. Dans ce récit autobiographique Michèle Desbordes évoque son amour et sa séparation d'avec cet écrivain de renom dont elle a partagé la vie. Elle y décrit magnifiquement la permanence de cet amour, malgré l'éloignement et l'exil nécessaires, le besoin d'aimer ailleurs.
Le livre est fait d'allers retours entre le passé et le présent, Paris et les îles des Caraïbes, il  parle des déchirements ressentis, de la culpabilité, mais aussi de la fidélité dans l'accompagnement  au moment de la séparation ultime.
Dans cette confession le lecteur est pris à témoin et sollicité pour accorder un pardon rédempteur. On retrouve dans ce récit bouleversant les thèmes chers à Michèle Desbordes, les paysages, la nature,les berges de la Loire, les sentiments, les questionnements sur la finitude et sur les traces que nous laisserons. L'auteure disparue maintenant nous laisse la beauté et la profondeur  de ses textes à lire et à méditer. Sûr que nous  garderons longtemps leur empreinte.
H.B.


Autres plaisirs

Parc Sauvage        
Jacques Roubaud, éd. Seuil/Fiction&cie, 14 €
Dans une grande propriété du sud de la France, deux enfants vivent une parenthèse heureuse au milieu de la guerre, dans le parc sauvage ouvert à leurs explorations. Nous sommes en 1942, Dora et Jacques sont mis à l’abri d’un danger qui n’est pas nommé mais que l’on comprend très vite.            

La vie rêvée de Dario Moreno
Jean-Paul Michallet, éd. Teper, 13,50 €
Un couple de retraités attend son fils et sa petite famille pour un repas dominical. Pour tuer le temps – car les autres tardent – ils regardent par la fenêtre, parlent de la pluie et du beau temps. Puis leur parole se creuse, et c'est de la vie, de la mort et de l'hypothèse du bonheur qu'il est question. Un texte plein de points de suspension et de vérité.

Le dernier dimanche de Sartre
Jean-Pierre Enard, éd. Finitude, 14,50 €
Un petit roman qui se lit bien vite. La dernière journée de Sartre, deux ans avant sa mort, est écrit avec plein de tendresse et d’émotion envers lui et envers la vieillesse. Dernières ballades dans un Paris qu’il ne reconnaît plus, dernières batailles pour les défavorisés. Le temps passe, les forces lâchent, et on se rappelle l’époque où nous lisions Sartre.

Les Jardiniers
Véronique Bizot, éd. Actes Sud, 15 €
Après « Les Sangliers », un premier recueil de nouvelles très remarqué, cette jeune auteure récidive dans la même veine. Univers ordinaires, personnages gentiment décalés, étrangeté garantie, sentiments violents perçant le tissu du quotidien. Entre humour et malaise, les brefs récits fonctionnent à merveille.

L'amant de la ligne 11
Rina Novi, éd. Buchet Chastel, 13,90 €
Cécile prend le métro tous les jours, la ligne 11. Veuve depuis 3 ans, elle sort peu, n'a pas beaucoup d'amis, et compense sa solitude par une présence active à son travail. C'est alors qu'une rencontre insolite dans le métro va illuminer son quotidien. Très beau conte érotique, initiation à l'amour, tendre et poétique.

La Route
Cormac McCarthy, éd. de l'Olivier,  21€
Terrassés par la peur, nous avançons dans un paysage de désolation, en compagnie d'un père et de son fils, "le petit". Ils marchent vers le sud, vers la mer, avec quelques affaires dans un caddie. Voyage de fin du monde, dans la violence et la barbarie, en quête d'un lendemain où l'humanité, l'amour n'auraient pas totalement disparus. Superbe roman, cinématographique, apocalyptique où l'espoir est préservé par la très belle relation unissant l'homme et l'enfant.



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