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Lire, c’est relier !

Au 12e siècle, Saint Bernard impose à ses étudiants une révolution : la lecture silencieuse. Fidèle à sa conception aristocratique de la société, il entend ainsi réserver le savoir écrit à une élite de la naissance et de l’esprit. Les masses, qui avaient accès aux grands textes sacrés ou profanes par la déclamation publique, sont de la sorte exclues d’une connaissance et d’une prise de parole réservées à l’aristocratie et aux « clercs ». La lecture devient un acte individuel, un accès personnel au savoir écrit.

La confrontation ne peut donc se faire qu’a posteriori et non dans le courant de la lecture, entre initiés apportant chacun leur vision de l’œuvre lue, sans possibilité réelle de discussion et de visions collectives. Ainsi se trouve rompu le passage de « legare », lier, à « legere », lire, et les masses et les collectivités sont exclues de la lecture.

Si la lecture silencieuse a fini par s’imposer, la nostalgie de la lecture publique et de ce qu’elle permettait a été telle que
rapidement sont réapparues des lectures publiques, réservées pour l’essentiel aux gens de qualité ou aux « hérétiques ». Le succès des acteurs lisant les grands auteurs, la multiplication des clubs où l’on essaie de partager une lecture et où l’on écoute lire, tout ceci montre l’envie et la volonté de sortir la lecture de son aspect individuel et individualiste et de revenir à son rôle de lien collectif et social.

Ainsi « Rives & Dérives » n’est pas une dérive mais au contraire le retour à une vérité oubliée. Que cela nous motive !
Chantal Gendre

 


À demi-mots

 

Unité de vie
Fabienne Swiatly, éd. La Fosse aux Ours — 15 €
Une vieille dame et sa belle-fille. L’une oublie son passé tandis que celui de l’autre ressurgit. Elle accompagne sa belle-mère dans sa nouvelle et dernière maison, celle de la vieillesse, car elle ne peut plus vivre seule, et cette femme stricte devient avec l’âge une femme fragile, se laisse approcher autrement, cherche l’affection.
La plus jeune est photographe d’origine bosniaque, elle retrouve un passé douloureux qu’elle avait enfoui au plus profond, des morceaux de guerre qu’elle a vécus très jeune, cette guerre où elle a perdu toute sa famille, les clichés s’emmêlent au présent et au passé. Les souvenirs de sa belle-mère se mélangent aux siens et à ceux dont elle n’a jamais parlé sauf peut-être à travers ses photos.
Le rapport entre ces deux femmes est sobre et profond, une présence de l’une à l’autre, elles cherchent toutes deux à rassembler des fragments de leur vie. Les mots sont justes et percutants, il y a une grande simplicité, la  douceur de vieillir, la douleur des souvenirs, la solitude.
M.-N. C.

Eux sur la photo
Hélène Gestern, éd. Arléa — 19 €
Une photo trouvée chez sa mère adoptive en fin de vie, avec un nom inconnu et une date, vont faire naître chez Hélène une envie impérieuse de savoir. La voici partie en quête de vérité sur sa mère morte alors qu’elle avait trois ans. Une annonce dans Libération déclenche alors une longue correspondance par e-mel entre Hélène et Stéphane. De fil en aiguille, ils vont retisser une histoire qui les relie à jamais et construire une relation, comme si la révélation à deux d’un secret qui a fortement marqué leurs vies respectives, autorisait la rencontre après la page tournée. Ce livre est construit sur le lien, derrière les e-mel en série et à travers un échange de photos, on entre dans les êtres, les lieux, les sentiments pour construire une immense racine, qui refonde l’histoire d’Hèlène et permet d’ouvrir  un nouveau chapitre projeté dans un avenir qui peut enfin exister. Un style et un rythme qui déclenchent chez le lecteur une adhésion à cette quête magnifique de la vérité qui conduit à la renaissance d’un être dans l’amour reconquis.
J. B.

Le système Victoria
Éric Reinhardt, éd. Stock — 22,50 €
Éric Reinhardt nous offre, pour passer l’hiver, un roman ambitieux, complexe, vibrant, culotté sur tout ce qui a trait à l’intime, aigu et acerbe dans ce qu’il expose des contradictions de notre époque… Un roman sur l’aujourd’hui, complètement électrisant.
Victoria de Winter est une femme magnifique, conquérante, libre. Elle est DRH-monde d’une multinationale cotée au CAC40. Elle avance et trace sa vie à sa guise, sans place aucune pour le remord. David, le narrateur, est un idéaliste poétique, complexé, en perpétuelle auto-analyse, étranglé par ses principes dits de gauche. Architecte de formation, il travaille comme directeur de travaux pour construire la plus haute tour de la Défense, dans un stress permanent, pendant que Victoria parcourt luxueusement le monde.
Ces deux-là vont former un couple torride. David n’en finissant plus de se laisser piéger par le pouvoir de fascination qu’exerce sur lui cette représentante d’une caste supérieure, celle qui nous gouverne tous, celle qui a su mettre le monde au service de sa jouissance.
Chronique d’un drame annoncé dès les premières pages, ce roman mêle l’intime à l’universel avec talent : bonne lecture !
E. B.-M.

Les solidarités mystérieuses
Pascal Guignard, éd. Gallimard —  18,50 €
Claire, une quarantaine d’années, revient sur le lieu de son enfance. Elle retrouve la lande mystérieuse, les rochers de granit, la mer sombre. Elle retrouve aussi l’homme qu’elle a toujours aimé malgré les enfants, les siens qu’elle a abandonnés, les ruptures et les chagrins de la vie. Il y a donc là Simon, son ancien amoureux, toujours pétri d’impossibilités, son frère cadet Paul, son lien avec Jean, prêtre en proie au doute, et les gens du village qui ont connu le trajet douloureux de cette famille.
L’histoire de Claire est racontée par ces différents personnages, chaque voix construit, s’affronte, se répond. Elle nous apparaît accroupie derrière les rochers observant son amour qui la regarde aussi, déambulant dans d’immenses promenades sur la lande battue par les vents et qui la laissent épuisée.
La fuite de Claire a commencé longtemps auparavant, fuite d’elle-même surtout et ce roman polyphonique nous en livre l’inquiétante beauté.
Les personnages de Pascal Guignard sont comme en suspens, dans les nuées, insaisissables. Cette trame romanesque donne à ce roman un mystère, fait d’ellipses et lui confère une beauté et une densité qui restent dans le cœur longtemps une fois le livre fermé.
D. B.

Les Barbares / La Barbarie
Jacques Abeille, éd. Attila — 25 € et 15 €
Le Cycle des contrées commencé avec Les Jardins statuaires, s’achève sur Les Barbares et La Barbarie, deux récits qui forment un prodigieux roman.
Dans Les Barbares tout commence dans la ville de Terrèbre qui vient d’être envahie et pillée par le Prince et ses cavaliers. Le narrateur, un jeune linguiste, seul à parler leur langue, est enlevé par le Prince. Il raconte sa folle chevauchée à travers les contrées sur les traces de l’auteur du livre des jardins, ses rencontres avec des femmes secrètes et des cavalières sauvages.
Dans La Barbarie, notre universitaire quitte les Barbares aux portes de Terrèbre, et retrouve après plusieurs années de voyage, une cité où règnent l’obscurantisme, la bureaucratie et le totalitarisme. On ne lui pardonnera pas son savoir, et il sera condamné à l’ostracisme. Les Barbares ne sont pas là où on les attend.
Dans le Cycle des contrées la présence et la sensualité des personnages féminins vont crescendo, jusqu’à Blanche dans La Barbarie où l’on trouve des pages magnifiques mêlant érotisme, végétation et sculptures de terre. Le livre dans le livre, l’écriture, la création, occupent une place centrale. Le monde littéraire de Jacques Abeille est captivant, les illustrations de F. Schuiten superbes.
Ch. G.

Histoire d’un Allemand de l’Est
Maxim Leo, éd. Actes Sud — 22,80 €
Maxim Leo, journaliste berlinois, raconte l’histoire de sa famille, et à travers cette histoire, celle de la RDA telle que l’ont vécue ses grands-parents, ses parents et lui-même : avec leurs engagements et leurs convictions, leurs doutes et leurs aveuglements plus ou moins consentis. Maxim avait 20 ans en 1989, date de la chute du Mur. Son récit mêle les souvenirs racontés par ses interlocuteurs : ses grands-pères – Gerhart, le résistant au nazisme, et Werner, embarqué dans le mouvement et soldat de la Wermarcht- ; ses parents – Wolf, l’artiste critique du régime sans pour autant le combattre ouvertement, et Anne, sa mère, journaliste dont le travail l’amènera à se poser et à poser de plus en plus de questions.
L’auteur nous mène sur un chemin qui est plus fait de questions et réflexions que de mémoire : comment se prennent les décisions, quelle est la part du hasard ou des opportunités dans les choix que nous faisons, comment agissent la peur ou la lâcheté, comment des convictions profondes peuvent conduire à excuser l’inexcusable.
C’est un livre passionnant, d’un style précis qui n’exclut pas l’émotion. Maxim Leo expose des faits et leurs conséquences, il ne juge pas mais nous permet de mieux comprendre une période de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe.
B. A.

Repas de morts
Dimitri Bortnikov, éd. Allia — 9 e
Le titre de ce roman ne cache pas les choses. La mort est bien présente tout au long de ce récit de «Dim».
Le narrateur/auteur nous entraîne dans les égarements de son âme cisaillée par ses morts, vraiment morts, mais aussi ses pertes d’humanité et féminines.
De la steppe du bord de la Volga à Paris, refuge de l’écriture, Dimitri Bortnikov étire sa vie du passé lointain au futur incertain. Autour d’une écriture acérée, presque chaotique, les personnages familiaux côtoient quelques personnalités russes. Des histoires qui traduisent l’âme de cette immense nation et de ses excès. La violence du service militaire « à la russe » dans le grand nord côtoie la vie difficile des prostitués et le questionnement perpétuel de l’auteur face à la mort.
Alors, oui, elle est bien là, mais son pendant, la vie, exulte elle aussi dans ce flot de mots taillés comme la bise glaciale.
Y. M.

Le sillage de l’oubli
Bruce Machart, éd. Gallmeister — 23,60 €
Dans une ferme du Texas, après la mort de sa femme à la naissance de son quatrième fils, Karel, le père choisit de jouer sa vie dans la course de chevaux. Gagner la course, c’est gagner des terres, et condamner ses fils à travailler comme des animaux pour cultiver le coton du matin au soir. Karel, le dernier, est celui qui monte le cheval de course après avoir labouré aux côtés de ses frères toute la journée, jusqu’à en avoir le cou tordu à vie. Jusqu’au pari final et fatal avec un fermier mexicain, qui cherche à marier ses trois filles et va gagner la course : non seulement des terres, mais aussi le mariage avec ses trois fils aînés, laissant Karel seul avec son père et privé de sa fratrie.
Dans ce roman il est question de l’homme, qui, privé de son amour devient un animal jusqu’à se confondre avec lui. Le cheval et l’homme ne font plus qu’un.  Seul, Karel semble encore accroché à la tendresse d’une mère qu’il n’a jamais connue, et relié à l’humain.
Un roman somptueux, ancré dans la nature forte de ce pays où tout est contraste entre chaleur et boue. Les animaux envahissent la vie de ces hommes, aux prises avec leurs sentiments auxquels il est interdit d’accorder la moindre place.
J. B.

Les séparées
Kéthévane Davrichewy, éd.Sabine Weispieser — 18 €
Alice et Cécile, deux anciennes amies, à présent fâchées, visionnent leur passé commun, chacune de façon différente. Elles essayent de comprendre le pourquoi de leur rupture. Alice, à la terrasse d’un café, happée par les images rétrospectives d’un magazine, plonge dans leurs années bonheur : l’enfance, les confidences, les amours, Philippe, mais aussi les non-dits, la trahison. Cécile, dans le coma suite à un accident de voiture, envoie des appels à l’aide silencieux à Alice. Elle aussi, par flash-backs, revoit les mêmes moments. Comment une amitié aussi fusionnelle que la leur a-t-elle pu prendre fin après tant d’années ? Alice va-t-elle entendre l’appel de Cécile ? Vont-elles se retrouver ?
Dans ce roman à deux voix, elles questionnent leurs sentiments, leurs ressentis d’alors et comprennent comment, petit à petit, leur amitié s’est étiolée. L’écriture féminine qui éclate dès les premières phrases du roman se fait bien vite oublier car on se laisse prendre par les voix claires des deux femmes. Ce texte fluide décrit de façon simple la  relation complexe de l’amitié entre deux êtres.
M.-F. N.

La vie lente des hommes
Sylvie Aymard, éd. Maurice Nadeau — 16 €
Les premières pages sont étourdissantes : un terrain vague écrasé de chaleur, des bruits d’enfants, une fillette qui n’en est déjà plus une, et puis la cloche de l’église qui s’affole et annonce le pire, la peur qui saisit, le cri muet du père et la fillette qui s’élance (sans désemparer*?) dans un mouvement à la fois libérateur et funeste.
Dans ce troisième roman à l’écriture enchanteresse, l’auteur réussit une nouvelle fois à convoquer et à captiver nos sens définitivement en éveil.
Voici donc l’histoire de Bussy, à la beauté offensante, de son père Matteo, veuf inconsolable et protecteur jouant son chagrin sur son violon ; la guerre vient d’éclater. A la libération, Bussy épousera Tristan, mari exemplaire, dévoué tout entier à la splendeur de sa femme. Et plus tard sa fille Esther, surdouée du ressenti à la vie marginale, reste muette face à l’énigme informulable d’une enfance à pans coupés. Car elle aussi a du silence sur les mains*.
Et l’on retrouve Bussy âgée, partie seule sur la tombe de son père, renouant peut-être avec son secret, enfin libérée?
*Courir dans les bois sans désemparer et Du silence sur les mains, du même auteur.
E. T.




Autres plaisirs

 

Rouge argile
Virginie Ollagnier, éd. Liana Levi — 17 €
Un retour aux sources. Rosa apprend la mort de son beau-père, elle part et rentre « chez elle », au pays de l’enfance, le Maroc dont les odeurs font ressurgir le passé. Elle quitte sa vie bien rangée de Saint-Germain-en-Laye
et se libère de ses chaînes. L’ombre de ses parents l’accompagne dans cette nouvelle voie, ainsi que sa vieille nounou, sa seconde mère.
 

 

Inverno
Hélène Frappat, éd. Actes Sud,
coll. Un endroit où aller — 16 €
Retrouver sa meilleure amie après vingt ans à grandir sans échanger. Trois heures de train les séparent. Comme le paysage s’inscrivant par tableaux successifs dans la fenêtre
du train, L. revit, par brèves séquences, sa vie et témoigne de l’histoire familiale de son amie. Chaque réminiscence est une brèche, un judas d’où observer une identité.
 

 

Jayne Mansfield 1967
Simon Liberati, éd. Grasset — 16 €
Ce livre retrace la vie de la star d’Hollywood Jayne Mansfield, sex-symbol des années 50, morte brutalement dans un accident. Il révèle une esclave de ce monde qui brille en apparence, mais derrière lequel se cachent une immense misère humaine et une déchéance physique au-delà de l’imaginable, un monde où rêve et réalité s’emmêlent comme dans
un film vivant.
 

 

Tangente vers l’Est
Maylis De Kerangal, éd. Verticales — 11 €
Huis clos dans le Transsibérien, avec
la rencontre improbable entre Hélène,
une voyageuse française,  et un jeune conscrit russe, Aliocha. Tous deux pour échapper à leur destin, fuient et deviennent complices. Le train, les quais, les passagers, les jeunes militaires imbibés d’alcool... On plonge dans l’univers russe, et le suspens maintenu jusqu’au terminus tient en haleine.
 

 

Les Années Douces
Hiromi Kawakami, éd. Philippe Picquier 7,50 €
Dans le bar où Tsukiko va boire un verre tous les soirs après son travail, se trouve aussi son ancien professeur de japonais. Une célibataire et un veuf... Roman d’une délicatesse à couper le souffle, poétique, sensuel, et tendre, où les silences sont des mots, il illustre un quotidien volatile, une course permanente
à la vie. À lire pour garder l’âme câline.
 

 

Hymne
Lydie Salvayre, éd. Du Seuil — 18 €
L’air de rien, L. Salvayre scande la date du 18 août 1969 tout au long de ce roman pour mieux brandir l’étendard de la bannière étoilée de l’hymne américain. Soulever un pan du voile non étoilé de l’histoire de l’Amérique de cette époque. Emettre un cri de protestation actuel à travers le légendaire Jimi Hendrix . Au fait, saviez-vous que cet hymne date du XIXe siècle ?

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